Suzette Jordan : Mon nom n’est pas « La victime du viol de Park Street ! »

Traduit de l’original/ par Héloïse Metzger

En 2011, Suzette Jordan a été victime d’un viol collectif sur Park Street à Calcutta. Parce que la loi indienne interdit de révéler le nom et le visage des victimes de viol, sous peine de 2 ans de prison, les médias floutaient son visage et l’appelaient  »Park Street Rape Victim », soit  »La victime du viol de Park Street ». Récemment, Suzette a décidé de révéler son nom et son identité. Elle est probablement la seule d’un grand nombre de femmes indiennes à faire ceci. Elle explique pourquoi ci-dessous.

Mon nom est Suzette Jordan et je ne veux plus jamais être connue en tant que « la victime du viol de Park Street à Calcutta ».
Après l’incident, [la police] s’est moquée de moi. Ils ne me prenaient pas au sérieux. [Lors de l’examen médical] j’avais l’impression d’être un morceau de viande. Cela me rendait folle, me demandant ce qu’ils [les violeurs] m’avaient fait pendant que j’étais inconsciente. J’avais tellement mal. Je ne pouvais plus bouger. Je sombrais dans la dépression. Cela me terrifiait. Je me suis mise à m’isoler complètement. Je ne pouvais même pas aller jusqu’aux toilettes. Mon père devait me porter jusqu’aux WC. J’ai 37 ans. C’était si embarassant.

Les voisins ont rendu ma vie dans le quartier [où j’habitais avant] très difficile. On a voulu me faire ressentir que j’étais coupable de mon viol. Juste parce que j’avais été en boîte de nuit [avec un homme], on m’a fait ressentir que j’avais provoqué le viol. Quand mes filles allaient à l’école, quelques personnes les regardaient bizarrement et colportaient de fausses rumeurs.. Cela fait 11 ans que je suis mère célibataire.. Au lieu de [m’] admirer d’être à la fois une mère et un père, ils [me] dénigraient. Oh, c’est une mère seule. Son mari l’a quitté. Elle s’est sûrement prostituée. [Des représentants du gouvernement] ont dit que j’étais une prostituée alors qu’ils ne me connaissent même pas. [En faisant ceci ils] mettent également en danger le vie du vraie prostituée. Sont-[ils] en train d’essayer de dire que la parole [d’une prostituée] ne compte pas et n’importe qui peut lui faire subir ce qu’il veut ?

J’ai dû déménager de ma résidence et m’installer ailleurs dans la ville. S’il n’y avait pas eu mes deux filles, je me serais suicidée.

[De tous les métiers pour lesquels j’ai postulés], personne ne m’a jamais recontactée jusqu’à présent.. Suis-je sans valeur parce que j’avais été dans une boîte de nuit [le jour où j’ai été violée] ? Puisque les boîtes de nuit sont si terribles, vous devriez toutes les fermer. Je me suis mise à prendre énormément d’antidépresseurs et de somnifères. Je faisais des cauchemars. Je me réveillais en criant. J’étais sans-dessus-dessous.. Je me faisais du mal à moi-même. S’il n’y avait pas eu mes parents et mes bébés, c’est sûr que je serais morte.
[Maintenant, travaillant dans une association aidant les victimes de violences sexuelles et domestiques], je sens que je guéris, partageant la douleur [des autres victimes]. [Mais] je n’arrête pas d’entendre tellement d’histoires de viols, et je me sens étouffée par le silence complet des victimes, de leurs familles et sociétés.

Il y a peu de temps, j’ai rencontré la famille d’une victime de viol à Calcutta. Je me suis dit : « Pendant combien de temps va-t-on vivre avec la honte d’avoir été violées ? »
[Voilà pourquoi] J’essaye. Je me force à me remettre de la peur. Je ne peux pas m’arrêter de vivre parce que je suis une victime de viol. Je suis en vie et je veux me battre. J’ai besoin de me battre comme je suis, pas derrière un masque, pas derrière un écran, pas derrière une image floutée.
[Après ma décision de révéler mon nom et mon visage] un avocat a dit que je suis en train de détruire le caractère sacré du tribunal. Mais quand les portes du tribunal s’ouvrent, les familles entières des accusés sont dehors. Ils me photographient avec leurs téléphones. Où est mon caractère sacré ?

J’adore les discothèques. J’adore danser mais je n’y suis jamais retournée depuis. J’ai envie d’aller à une fête. Je veux m’habiller comme il me plaît. Mais j’ai très peur de faire cela. [Quant à la justice] je n’ai rien contre ces gens [Les politiciens, policiers et la société civile qui l’ont traquée.] [Mais] ils peuvent se faire pardonner en me faisant justice. Non seulement pour moi, mais pour toutes les femmes du pays dans le même cas que moi.

J’en ai assez de cacher ma véritable identité. J’en ai assez des règles de la société. J’en ai assez de me faire sentir honteuse. J’en ai assez d’avoir peur parce que j’ai été violée. C’en est trop !

Ne déformez [donc] pas ma voix, ne floutez [donc] pas mes photos. Mon nom est Suzette Jordan et je ne veux plus jamais être connue comme la victime du viol de Park Street à Calcutta.

Lorsqu’Une #Organisation Qui Combat Le #Viol le Perpétue Aussi !

robert de niro think

Traduit de l’Original par Roxane Metzger

 Par Rita Banerji

En novembre, un article circulant sur Internet sur un faux « festival du viol » en Inde a choqué beaucoup de gens parce qu’il semblait se moquer du viol !

Ironiquement, au même moment, un événement rassemblant des personnalités célèbres telles que Robert De Niro, le festival ‘THINK’ à Goa (état de l’ouest de l’Inde) faisait exactement cela – il se moquait du viol et des victimes de viols !

Le festival ‘THINK’ était organisé par Tehelka, l’un des magazines les plus radicaux et libéraux en Inde. Mais pour l’Inde, cette institution est bien plus encore. Le mot ‘Tehelka’ est devenu un synonyme de révolution et d’indignation publique pour la justice et l’égalité.

La portée de Tehelka est immense. Le magazine possède une influence énorme, à la fois en Inde et dans le monde entier. Cette année, son festival THINK s’est vanté de la présence d’invités tels que Robert De Niro, Amitabh Bachchan, Medha Patkar, Garry Kasparov, Tina Brown, Mary Kom, John Pilger, et bien d’autres encore.

meira paibisLe viol était l’un des grands problèmes de ce festival THINK 2013. Des survivantes de viols ainsi que des activistes indien-ne-s se sont exprimé-e-s au sein d’un forum intitulé The Beast in Our Midst(« La Bête Parmi Nous »). Il y avait aussi Suzette Jordan, qui a été victime d’un viol collectif, une arme pointée sur elle, et qui aide d’autres survivantes alors même qu’elle se bat encore pour que justice lui soit faite ; Harish Iyer, qui a été violée par ses proches dans son enfance, et qui s’est exprimée sur le fait que les violeurs ne sont pas tous des étrangers, mais souvent ceux que nous connaissons et à qui nous faisons confiance ; Sandhya, jeune femme de 16 ans et qui a été victime d’un viol collectif, dont la mère fut également victime de viol en réunion, puis tuée lorsque la famille déposa plainte ; Ima Ngambi, membre de Meira Paibis, une organisation de mères qui se sont déshabillées en public pour protester contre les violences et viols systématiques infligés aux femmes par l’armée indienne à Manipur ; Sœur Jesme, qui a été exposée aux abus sexuels dont les nonnes sont systématiquement victimes au sein de l’Église catholique en Inde ; Manisha Devi, qui expliqua que la partie la pire du viol consiste dans le comportement du système légal, policier et social, qui perpétue l’injustice infligée aux victimes.

Un autre cas de viol s’est pourtant déroulé pendant le festival, et qui allait sortir au grand jour quelques jours plus tard.

Cette affaire a choqué la nation, et l’a forcée à se demander pourquoi Tehelka perpétuait précisément le mal qu’il prétendait combattre.

Tarun Tejpal, le fondateur, éditeur en chef, et principal propriétaire de Tehelka, a déshabillé de force et molesté sexuellement une des plus jeunes journalistes à deux reprises pendant le festival. La journaliste avait pour mission de « chaperonner » Robert De Niro au festival. Apparemment, Tejpal utilisa comme excuse une visite dans la chambre de De Niro afin de piéger la victime dans l’ascenseur, où l’incident a eu lieu. Lorsqu’elle résista, et le supplia de s’arrêter, il lui dit qu’accepter l’agression serait le meilleur moyen de garder son travail ! Les détails de l’attaque, révélés Lire la suite